« Ce sont le regard et le cœur qui parlent quand on se lance dans l’aventure d’un ouvrage. »

 

Comment sont nées les éditions Géorama ? Quelle est la ligne éditoriale de la maison ?

Géorama est née de façon très artisanale, c’est l’héritage de mes années de voyage, de conférencier, de passionné de livres ! Le voyage, j’ai démarré très tôt, à l’adolescence. Je suis enfant de voyageur, fils de marin, l’étranger, le monde, la culture de l’autre, la curiosité ont toujours été inscrits dans ma culture familiale.

Au départ, en 1987, nous avions créé une structure associative, on souhaitait éditer les ouvrages de nos expéditions, de nos voyages… Le premier titre, paru sous la marque Géorama en 1999 – aujourd’hui épuisé –, s’intitulait Transsibérien, Voyage dans un train de légende. Le succès immédiat de ce livre m’a permis d’en faire un deuxième sur l’Ouzbékistan et surtout d’envisager la création d’une maison d’édition. À l’époque je travaillais beaucoup sur l’ex-URSS ; il est vrai qu’il y avait très peu de livres sur le sujet et pourtant un fort intérêt de la part du public. En 2002, on a plongé dans le grand bain en signant un contrat de diffusion-distribution avec la Cartothèque, ce qui a permis de mettre en place la commercialisation des livres. 

 

En quoi consiste le projet du Chenal depuis sa création ? Qu’en est-il aujourd’hui ?

Géorama est arrivé en 2015 à Porspoder après sept déménagements – sur notre ancrage historique qu’est la côte ouest – sur un lieu que nous connaissions déjà en tant que clients et qui nous inspirait. Le projet était de réunir nos vieux copains de l’association Horizon Aventure et de créer une sorte de salade composée entre la musique, la photographie, le livre et les plaisirs de la table. La rencontre avec Béatrice Cabon, actuelle cheffe du restaurant, a permis de concrétiser ce qui nous manquait, c’est-à-dire la partie restauration, et de créer ce lieu ouvert sur le monde dans un cadre tout à fait exceptionnel ! Après ces six années, le projet est aujourd’hui à maturité : on a réussi à fidéliser un réseau de clientèle aussi bien pour le restaurant, les conférences et les concerts… On est parvenu à faire résonner localement ce lieu qui connaît un certain succès, et c’est pour nous également une belle vitrine de notre savoir-faire.

L’année passée n’a pas été très simple, mais j’avoue avoir vécu cette situation plus comme une expérience que comme une contrainte. Au niveau de l’activité, nous avons dû annuler un nombre de dates considérables, notamment la 3e édition de notre festival Dernière escale avant l’Amérique qui n’a pas pu avoir lieu en avril 2020. Cette dernière année, on vivait là comme sur une île, avec quasiment personne, si ce n’est la population locale. Malgré tout, on l’a pas si mal vécu. Le 19 mai, on a rouvert le lieu pour la troisième fois, on s’habitue en quelque sorte à cette période étrange, on vit un petit peu au jour le jour, et dès que ce sera possible, on lancera à nouveau une programmation culturelle. On vient d’ailleurs d’inaugurer une très belle expo sur l’affiche ancienne qui s’appelle « Voyage dans le temps ».

 

De quelle manière choisissez-vous les ouvrages que vous publiez ?

Alchimie compliquée, forcément on a toujours plus de propositions que d’offres de publications ! Plusieurs paramètres sont à prendre en compte : le coup de cœur, c’est le plus important, on ne choisira pas un livre qui ne nous plaît pas même si économiquement il peut s’avérer viable, donc c’est forcément un sujet qu’on aime ; l’auteur peut être déterminant, quand des auteurs – que nous suivons habituellement – sortent de nouveaux projets, on les étudie de près ; le projet doit s’inscrire dans la ligne éditoriale, dans une collection ; enfin, on essaie de percevoir un public pour le livre, pas forcément quantitatif, mais plutôt qualitatif. Ce qui prime, c’est ce qu’on aime avant tout ! Chaque livre est une aventure pour nous ! On fait aussi en sorte de choisir des livres qui peuvent s’inscrire sur un délai relativement long par rapport à ce qu’est le monde de l’édition aujourd’hui (certains livres ont seulement trois mois pour s’exprimer en librairie !), on a plutôt une politique de livres de fond. Ce qui explique d’ailleurs pourquoi nous tenons avec si peu de titres – 120 titres au catalogue – sur 20 ans. Ce sont le regard et le cœur qui parlent quand on se lance dans l’aventure d’un ouvrage !

 

Quelles sont les différentes collections du catalogue ?

Aujourd’hui, on a 6 collections actives !

  • La collection « Par Monts et par Vaux » s’intéresse notamment aux petits trésors de la France et principalement de la Bretagne pour l’instant parce que l’idée est de publier des ouvrages sur des zones géographiques relativement restreintes, mais fortement identifiées. On part du principe qu’il est possible de voyager à 30 kilomètres de chez soi et qu’il y a plein de choses à découvrir ! Cette collection nous permet d’approfondir vraiment des petits coins de France à forte identité, qui intéresseront autant les locaux que des gens de passage.
  • La collection « Un regard sur notre monde » a longtemps été la collection phare de Géorama dans laquelle les deux premiers titres de la maison sont parus. Ce sont des ouvrages documentaires qui permettent de poser un regard sur un pays, à travers les yeux d’un photographe ou d’un auteur qui le connaît bien. Cette collection connaît un ralentissement forcé en ce moment.
  • La collection « Récits » privilégie des voyages d’ampleur, souvent initiatiques, des expériences qui vont marquer la vie d’un auteur en immersion, à travers un moyen de locomotion particulier, une expédition…
  • La collection « Témoignages » est plutôt littéraire et porte sur de l’expérience vécue, mais plus à titre expérience personnelle ou historique, sur des sujets très variés.
  • La collection « Proverbes & Dictons » permet de retranscrire la culture orale. Les ouvrages connaissent un vrai succès en librairie ! C’est une approche intéressante qui permet de comprendre plein de choses sur un peuple.
  • La collection « Poésie » me semble être un angle incontournable pour aborder le monde et le voyage, le mouvement et la nature. 

 

La maison d’édition fait partie de l’UEVI, comment s’est articulée la création de cette association ? Comment se dessine ce réseau professionnel aujourd’hui ?

L’UEVI est née d’une rencontre entre plusieurs éditeurs qui partageaient un peu le même esprit, la même ligne : Géorama, Transboréal et Magellan. On demandait souvent à être installés à côté dans les salons ! Il y a une dizaine d’années, au festival de Clermont-Ferrand, on a émis l’idée de se fédérer sous forme associative, tous les trois au départ, puis rapidement ont été intégrés Ginkgo et Elytis, et on a commencé à mutualiser nos stands à cinq éditeurs sur les grands salons. On a fini par intégrer d’autres éditeurs toujours dans ce même esprit, jusqu’à être neuf maisons. On a choisi le symbole du Zèbre qui reflète bien l’esprit de l’association : exotique, collectif, indomptable (symbole de l’indépendance), et enfin « chacun son code-barres », car on reste indépendant et chaque éditeur garde la liberté de ses publications. Chaque zèbre a un code-barres différent comme tous les ouvrages que l’on publie. Avant tout bien sûr, c’est surtout un rapprochement amical et ça, ça compte !

Malgré le contexte sanitaire et les salons à l’arrêt, les partenariats et ouvertures de lieux sont en progression, puisque Le Patio de la Roche, en Charente, va être le douzième lieu identifié UEVI : un lieu qui ne présente que des parutions des éditeurs de l’association ou qui propose un fond très ciblé UEVI ! Le grand problème pour des éditeurs comme nous, c’est bien évidemment la visibilité. Aujourd’hui, le réseau avance à notre rythme avec les moyens du bord en termes de salons ou de présence digitale via cette newsletter commune ! Même si dans une librairie traditionnelle, il est parfois difficile de trouver nos ouvrages, malgré tout, on survit et on arrive finalement à toucher nos publics ! Un réseau qui avance lentement mais sûrement !

 

Vous publiez ce mois-ci Habiter Ouessant de Olivier Py et Hervé Inisan dans la collection « Par Monts et par Vaux », pourquoi avez-vous choisi de publier ce beau livre ?

Habiter Ouessant arrive en quelque sorte après l’ouvrage Rêver Ouessant, paru en 2012, qui avait été préfacé par Olivier Py. Voisin du photographe (Hervé Inisan) sur Ouessant, Olivier Py a montré son enthousiasme dès la sortie de Rêver Ouessant pour faire un deuxième opus, plus spécifique au thème de l’habitat qui lui est cher. J’ai tout de suite fait confiance à cette collaboration naissante, il faut dire que le binôme était extraordinaire pour Géorama et pour l’île d’Ouessant ! Cette île fascinante est la plus occidentale de France, la plus sauvage, la plus spectaculaire, celle qui draine le plus de mythes autour d’elle ! Habiter Ouessant est vraiment une immersion sensible proposée par deux puristes, deux auteurs qui comprennent cette île mieux que quiconque. Rêver Ouessant a connu un fabuleux accueil de la part des Ouessantins eux-mêmes, je n’ai aucun doute pour Habiter Ouessant. Ce sont des livres sur lesquels les gens vont pouvoir s’identifier. L’aventure ouessantine continue !

 

Pourriez-vous nous citer trois livres incontournables publiés par Géorama ?

  • Le monde en stop, de Ludovic Hubler : c’est notre plus gros succès, 50?000 exemplaires vendus. À notre niveau, c’est assez rare ! Un livre traduit en plusieurs langues, sorti au format poche, et qui a reçu le Prix Pierre Loti 2010. Ce roman rocambolesque symbolise le voyage initiatique – existant dans plusieurs sociétés traditionnelles – qui est pour les jeunes (et pour moi) une école, une transition entre l’enfance, l’adolescence et la vie professionnelle. Le fait de quitter le cocon familial permet d’affronter « la vie », de se confronter au monde. Ce livre est le reflet quasi parfait de la collection « Récits ».
  • Le Tour du Monde dans son jardin, de Michel Damblant : c’était un chantier éditorial très ambitieux pour une maison comme la nôtre et le plus risqué que nous ayons entrepris ! C’est le symbole du beau livre « intelligent » dans lequel on apprend à décrypter les plantes qui se trouvent autour de nous et que l’on voit tous les jours. C’est un travail extraordinaire étalé sur trente ans, un livre de consécration en somme !
  • Transsibérien, Voyage dans un train de légende : par nostalgie, je choisis celui-ci, même s’il est épuisé, car il a été mon tout premier livre ! C’est l’ouvrage qui a lancé les éditions Géorama. Je racontais la vie à bord de ce train, en 1994, j’avais fait une partie des textes et les photos, et Catherine Le Guen avait unifié le tout. L’ouvrage est un peu daté maintenant, c’est pourquoi on ne l’a pas réédité. J’ai continué à travailler sur le transsibérien avec Hervé Bellec avec son livre Les Sirènes du Transsibérien. J’ai sans doute été le premier à publier postsoviétique sur ce thème qui est toujours resté un mythe !

 

Quelles sont les perspectives éditoriales de la maison ?

Compte tenu de la situation, sur cette année 2021, on va publier plutôt localement et on va se concentrer sur l’édition régionale. On est obligés de mettre certains projets pourtant intéressants de côté. D’ici un an ou deux, on aimerait développer une collection « histoire ». Pour l’instant, on souhaite continuer à entretenir notre fonds et garder la philosophie de ne pas « trop » publier, on ne veut pas rentrer dans cette spirale infernale de sur-publication que certains éditeurs adoptent pour compenser les retours ! Chez Géorama, je suis fier de pouvoir dire qu’on n’a jamais pilonné de livres. L’idée c’est de publier à échelle humaine, de ne pas inonder le marché avec seulement 5-7 titres par an. Notre politique très raisonnée de la publication est la preuve de notre démarche éco-responsable d’éditeur au sein d’un marché en perpétuelle évolution !